NOTRE REVUE

L'Association publie une revue, à raison de trois numéros par an, comprenant des textes inédits de ses adhérents en lien ou non avec l'actualité, et ceux des conférences. Il est fréquent d'y trouver des poèmes, ce qui devient trop rare dans les médias actuels. Nous présentons ici une sélection d'articles anciens, dont certains sont d'une brûlante actualité.

C'ÉTAIT HIER...

LA REVUE n° 29, 2e semestre 1963

Wladimir d'Ormesson

  Lors d'un grand dîner réunissant quatre-vingts convives dans les salons de la Maison des Polytechniciens pour fêter son élévation à la dignité de Grand-Croix de la Légion d'Honneur, le comte Wladimir d'Ormesson, ambassadeur de France, fit ce discours d'une très haute élévation de pensée :

 

Messieurs, qu'est-ce qu'un écrivain catholique ?


   Il me semble que c'est essentiellement un catholique écrivain. Je veux dire par là qu'un écrivain catholique n'est pas un auteur qui se consacre nécessairement aux questions d'Eglise, aux problèmes d'ordre religieux. Un écrivain catholique est un auteur - qu'il soit philosophe, historien, romancier, dramaturge, poète, critique, essayiste, moraliste, spécialiste de questions politiques nationales et internationales, de problèmes économiques, juridiques, scientifiques, techniques, que sais-je ? - bref un auteur qui, pénétré de la foi chrétienne, de ses lois, de ses règles, de ses principes, de son rayonnement, voit les choses, sent les choses, les explique, les commente, les présente en raison de cette foi et de ces principes. Cet état n'est ni l'effet d'une volonté ou d'un effort, encore moins d'un parti-pris. La vérité est beaucoup plus simple. En fait l'écrivain catholique ne peut ni agir ni réagir autrement qu'il ne le fait, tout bonnement parce qu'il respire en chrétien.

   Or, peut-être, nous trouvons-nous à un moment de l'évolution humaine où jamais la présence du chrétien dans le monde, l'affirmation de sa pensée, la diversité de son action, en un mot son influence, n'ont jamais été plus nécessaires. Si l'évolution matérielle et technique de ce monde s'accomplit chaque jour sous nos yeux à un rythme qui nous émerveille et souvent nous stupéfie, son évolution politique et morale est loin d'avoir suivi et de suivre le même rythme. Il y a là un décalage d'où risquent de naître les pires catastrophes. "L'homme est à la merci de ce qu'il trouve" a dit Paul Valéry, et Claude Bernard, cent ans plus tôt, avait écrit : "L'homme peut plus qu'il ne sait". Pourquoi ?

(...)

   Ce qui est défaillant dans cette civilisation à la fois exaltante et pitoyable, ou plutôt ce qui n'est pas à sa place, ce qui ne rayonne, ce qui ne domine, ce qui ne s'impose pas suffisamment, c'est l'âme. Il faut toujours en revenir à ces paroles bouleversantes de l'Evangile de saint Jean, que nous répétons à chaque messe depuis deux mille ans - mais que nous ne faisons que répéter - : La Vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde, c'était le Verbe. Il était dans le monde, le monde a été fait par lui et le monde ne l'a pas connu. Il est venu dans son domaine et les siens ne l'ont pas reçu... En lui était la vie et lui, la Vie, était la vie et la lumière des hommes ; mais la lumière luit dans les Ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas comprise... (Jn 1, 9-11) Messieurs, nous n'avons jamais possédé plus de lumières et pourtant de quelles ténèbres nous sommes environnés !...

    Voilà pourquoi je vous disais en commençant, mes chers confrères, que nous nous trouvons à un moment de l'évolution humaine où la présence du chrétien dans le monde, l'affirmation de sa pensée, la diversité de son action, son influence, et pour tout dire son apostolat, n'ont jamais été plus nécessaires. (...)

   Et certes, nous ne prétendons en aucune façon imposer le christianisme au monde ! Mais nous pouvons, mais nous devons faire en sorte que le monde réfléchisse et comprenne que le christianisme représente la règle d'or des individus, des familles, des sociétés et des peuples. Et même si nous ne le pouvons pas, nous devons faire comme si nous le pouvions. (...)

   Ce que nous demandons à Dieu, c'est qu'Il donne à son Église cette force de persuasion et cette chaleur de coeur qui la feront pénétrer de plus en plus loin dans les couches sociales épaisses qui l'ignorent ou qui la méconnaissent. Ce que nous Lui demandons, c'est qu'Il permette à une humanité qui côtoie l'abîme ; à une civilisation collective qui se débat au milieu des contrastes et des contradictions de trouver dans le Christianisme la Vie, la Lumière et la Paix."


BULLETIN DES PUBLICISTES CHRÉTIENS, n°137, 1923

Chronique

 

La Messe du mois de Mars

 

Aux premiers rangs d’une assistance encore trop peu nombreuse avaient pris place MM. Georges Goyau et René Bazin.

En l’absence du R.P. Janvier retenu loin de nous par sa prédication à Notre-Dame, le R. P. Louis nous donna l’instruction habituelle. Aux écrivains catholiques, il proposa en exemple saint Thomas d’Aquin qui, en vingt ans, publia soixante quinze ouvrages et dont la vie s’est passée à chercher Dieu pour pouvoir le donner aux hommes. Comment ? Saint Thomas l’a dit lui-même : « On demande par la prière, on cherche par l’étude, on frappe à la porte par les bonnes actions. »

La prière de saint Thomas que nous connaissons bien par les textes qu’il nous a laissés est avant tout humble. Il tient son génie pour incapable de lui donner quoi que ce soit si Dieu ne l’éclaire pas. Elle est confiante et filiale. Elle est tendre. « Si son intelligence était une révélation, a écrit Lacordaire, son cœur était une extase. » Il s’était donné tout entier dès sa jeunesse et loin de jamais se reprendre il ne souhaitait que d’entrer toujours plus avant dans le cœur de Dieu.

Aussi, ce qu’il voulut posséder d’abord ce fut la science de Dieu ; dans les livres comme dans la nature, il n’eut point d’autre souci que de chercher Dieu, et c’est pourquoi il fut le théologien par excellence, pourquoi il lui fut donné de pénétrer plus profondément que quiconque le mystère divin.

Et sa vie répondit aux aspirations de son cœur et de son esprit. Aussi bien, comment pourrait-on espérer connaître Dieu si on n’aimait pas, si on ne pratiquait pas les vertus dont il est le modèle. Toutes les vertus morales l’auteur de la Somme les a possédées : la chasteté avant toute autre, l’humilité, l’obéissance…

Imitons donc saint Thomas d’Aquin dont l’histoire ne révèle pas d’actions extraordinaires, dont l’existence fut toute une, dont les préoccupations furent celles d’un écrivain catholique, et qui, par conséquent, s’offre d’une façon très particulière à nous comme maître et comme exemple. Ayons notamment le même désir que lui de connaître Dieu et pour cela demandons-lui de nous apprendre à le prier comme lui.